ACTUALITES ISRAELIENNES
Un court voyage d’agrément en Israël – presque 15 ans après le précédent – m’a fait découvrir trois réalisations architecturales remarquables, plus une curieuse initiative locale, me rappelant
une vieille anecdote juive.
LE PONT DE CALATRAVA (Jérusalem)
Séfarade fidèle, mais non pratiquant, je me rends souvent en Espagne pour y passer une partie de l’hiver ou découvrir des choses nouvelles.
Il y a à peu près deux ans, peu après l’inauguration de la Journée du Souvenir (de l’Holocauste), en présence du couple royal et du Premier Ministre d’Espagne, j’avais découvert à Valencia l’extraordinaire Cité des Sciences, bâtie par le génial architecte local Santiago Calatrava.
Né en 1951, empêché par Mai 68 de suivre les cours de l’Ecole des Beaux-Arts en France, il y a construit – entre autres – la Gare de
Lyon-Satolas et le Pont de l’Europe, à Orléans. En Italie, il vient d’inaugurer, le 11 septembre, le quatrième pont sur le Grand Canal, à Venise (1). Dans sa ville natale, il a réalisé dans le
lit d’un fleuve détourné, la fantastique Cité des Arts, avec un Opéra qu’on croirait issu du mariage d’un dinosaure avec un dauphin, plus un Musée Océanographique doté d’un restaurant immergé
dans un immense aquarium où les poissons contemplent les commensaux, en attendant de finir dans leurs assiettes…
Il a été choisi pour les futures fondations du Ground Zero, à Manhattan. Son instrument de travail est l’ordinateur!
Cet
homme extraordinaire a lancé un véritable défi aux ponts classiques à arche unique, faisant supporter presque tout leur poids par un seul pylône,
muni d’une câblerie sophistiquée. Ils ne sont pas les uniques du genre, mais il n’hésite pas à rendre hommage aux traditions.
Quelle ne fut ma surprise en découvrant, du sherout qui m’emmenait depuis l’aéroport Ben Gourion, une formidable arche blanche un peu en serpentine, dominant l’entrée Nord-Ouest de Jérusalem ! On aurait dit une espèce de Luna Park, augmentée par un éclairage féerique. Je me suis écrié: «Mais on dirait du Calatrava!» « C’EST du Calatrava » me répondit un voisin, «il ne passe pas sur une rivière, mais sur du trafic urbain…».
Le lendemain, chez un ami, j’ai appris que ce pont avait été construit sans trop présager de son usage final, probablement le passage du tramway plus une passerelle pour piétons. Inauguré le 25 juin, il ne sera terminé que dans un an. Les habitants des alentours ne l’aiment pas trop, et l’ont baptisé « L’Eléphant Blanc », mais tout le monde est d’accord que son pylône en forme de harpe et lyre symbolise les instruments préférés du roi David. Il a déjà coûté plus de 50 millions d’euro, ce qui est beaucoup pour une ville sans industries, finalement assez pauvre et qui ne manque pas de monuments.
Le surlendemain, j’ai voulu le revoir de près. Parti du centre de Jérusalem-Ouest, actuellement éventré par la construction de la
future ligne de tramway, je n’ai pas trouvé l’autobus qu’il fallait et j’ai finalement accepté l’offre d’un sherout partant vers Tel Aviv. Une fois déposé sur ce cirque, je n’ai pas appris grande chose des ouvriers du chantier, sauf la hauteur du pylône (120 m.) et la longueur du tablier (360m.). Je me suis dit que je trouverai des photos
sur Internet et j’ai pris un taxi pour le Kotel.
LE TUNNNEL DES ASMONEENS
Construit un siècle avant l’ère chrétienne par la dernière souveraine asmonéenne, la reine Salomé Alexandra, peut-être pour rencontrer ses amants hors de son palais, ce tunnel passe sous la
Vieille Ville, mais nullement sous l’Esplanade des Mosquées, comme en témoignaient des croquis publiés par TIME, LE POINT et le peu pro israélien LE MONDE, en 1997. Mais presque toute la presse
occidentale s’était empressée de proclamer la thèse palestinienne, selon laquelle l’ouverture du tunnel que proposait alors Benjamin Netanyahu,
Premier Ministre israélien, aurait pu provoquer l’effondrement de la Mosquée Al-Aksa, et du Dôme du Rocher ! J’ai entendu M. Daniel Bilalian, d’Antenne 2, l’affirmer à plusieurs reprises,
depuis une conférence internationale à Sharm-El-Sheikh.
Pourquoi ces média voulaient-elles fausser l’information, au point
de mettre le feu aux poudres? Il est incontestable que M. Netanyahu a agi un peu légèrement, mais il avait pensé que son accès sur la Via Dolorosa serait bien accueilli par les commerçants du
quartier. En agissant ainsi, les média ont fait remplacer les pierres de l’Intifada par les balles réelles de la police palestinienne, qui avaient au moins transité par Israël, en vertu des
accords d’Oslo, dont les signataires croyaient bien faire en mettant la question de Jérusalem entre parenthèses. On pensait que le temps allait résoudre le sort de cette ville, dont il suffit de
s’approcher par l’ancienne route de Latrun pour en ressentir le caractère universellement sacré.
Mais moi, en cette matinée
d’août, je me sentais animé uniquement par le désir de visiter ce tunnel, qui m’avait beaucoup préoccupé en 1997, après les heurts violents entre manifestants arabes, police israélienne et
prieurs du Mur des Lamentations. Le spectacle présent de ces derniers, toujours aussi hallucinants pour un néophyte, contrastait avec la confusion qui régnait au guichet d’entrée, la majorité de
ces touristes ignorant que la visite du tunnel ne pouvait être faite que sur réservations, ou prétendant avoir retenu par téléphone. Devant le guichetier un peu saoûlé par ces protestations, je
lui ai dit simplement : «je suis âgé, seul, et je repars demain». Il me glissa immédiatement un ticket, valable pour l’entrée immédiate!
Ce tunnel est une réalisation tout à fait remarquable, surtout lorsqu’un conférencier explique comment des blocs de pierre de six tonnes avaient été manipulées comme par les concepteurs des
Pyramides, devant une maquette géante (10x5m environ) du Second Temple. Explication complétée par un dessin animé très bien fait, où j’ai reconnu la patte de Ari Folman, réalisateur de VALSE AVEC
BACHIR, très apprécié à Cannes, et visionné juste avant le départ.
Seule déception: il n’y avait pas de sortie
sur la Via Dolorosa ! mais j’ai fait le détour par le Kotel, achetant un chapeau mieux équipé contre la chaleur à un commerçant palestinien. Il me demandait 120 shekels, je lui en ai offert
50 et il a répondu : O.K. ! Où sont les temps du plaisir de marchander ? les négociants du Temple ont dû se retourner dans leurs tombes…
En sortant de la Vieille Ville, j’ai découvert une allée piétonnière flambant neuve et surplombant les créneaux de son enceinte murale, entre la
Porte de Jaffa et la Porte Neuve, dotée de magasins de luxe et de restaurants originaux. J’y ai déjeuné, d’une salade grecque géante et d’un
« mitz », mais quelle ne fut ma surprise lorsque le caissier, après avoir pris ma commande et encaissé la somme – très convenable - me demanda… mon prénom ! Cinq minutes plus tard,
alors que je venais de me frayer une place à l’ombre, un haut-parleur m’appela, pour retirer mon plateau!
LA GARE ROUTIERE DE HAIFA
Ayant pris pour base la seule ville d’Israël où l’on parle français (Netanya), je suis allé un jour à sa gare étudier le meilleur moyen de rendre visite, à Haïfa, à une amie d’enfance.
Lors de mon dernier voyage, je lui avais
téléphoné mon arrivée depuis le train de Jérusalem, mais cette année il fallait changer à Binyamina. La gare était de toutes façons très excentrée,
et les nouveaux horaires n’étaient pas encore imprimés.
Je me décidai alors pour le bus, mais il n’y avait qu’un sherout, dont le chauffeur enfilait ses « tefilim » Je ne sais pas s’il avait
compris que je voulais revenir à mon point de départ, mais il me demanda en anglais si j’étais Juif, et pourquoi je n’avais pas de « tefilim ». Devant ma réponse hésitante (je ne suis
pas pratiquant), il ouvrit son coffre, en extirpa un nouvel assortiment de courroies et dès en cuir, dont il m’enveloppa prestement. Après m’avoir fait réciter toute une série de formules en
hébreu, il déclara que j’avais passé ma « Bar Mitzva », et que j’étais désormais un bon Juif. Et de m’offrir, en prime, la photo de son mentor: le rabbin
Loubavitch!
Je pris donc le bus, dans la sordide gare routière de Netanya : très confortable, il parcourut les 60 kilomètres en 45 minutes, pour la modique
somme de 11 shekels (2.20 euro, soit le prix du RER entre la Défense et Saint-Germain-en-Laye!)
Un vieux dicton dit qu’à Jérusalem on étudie, à Tel Aviv on s’amuse, mais à Haïfa, on travaille. J’avais déjà admiré la splendeur du Carmel et le reste, mais je demeurai pétrifié de stupeur en
descendant dans sa Gare Centrale Routière: je n’en ai vu nulle part une si belle!
En général, les gares routières sont souvent des endroits où il n’est pas recommandé de s’attarder. Mais dans celle-là, tout était nickel et verre ; sur les planchers de marbre, on aurait pu
manger ; il y avait une cinquantaine de portes de départ, rafraîchies par une climatisation excellente. Plusieurs restaurants, des magasins de toutes sortes, et un service d’informations
très précis, qui distribuait des horaires détaillés jour par jour!
Il y a longtemps, Abba Hushi, le meilleur des Maires de
Haïfa, répliquant aux religieux de Mea Shearim, qui lui demandaient d’interdire les transports en commun le jour du Shabbat, leur avait répondu : « Chez vous, vous faites ce que vous
voulez, chez moi, je fais ce que je dois faire. « J’ai pu ainsi arriver à l’heure chez mon amie et passer une après midi agréable, mais pour
attraper le dernier bus pour Netanya, il me fallait un taxi.
Appelée par téléphone, une voiture propre et confortable arriva assez vite, mais conduite par un jeune chauffeur russe, qui ne parlait que sa
langue ! Mon amie put néanmoins lui faire comprendre (du moins nous le crûmes) où je voulais aller (Gare Centrale des Bus, à Bat Galim) et qu’elle avait l’habitude de payer 35 shekels. Et ce
Farinov démarra sur les chapeaux de roues, pour s’arrêter, un quart d’heure après, devant…le Port de Haifa ! Je crus qu’il avait compris mes objections, malgré une hausse de 15 shekels, car le temps filait.
Un autre quart d’heure après, il s’arrêtait…devant la Gare de Haïfa ! Lorsqu’un autre Russe lui fit comprendre qu’il me fallait LE BUUUS ! il redémarra et m’amena où je
voulais, cinq minutes seulement avant le départ du bus pour Netanya. Lorsque je lui tendis un billet de 100 shekels, il ne voulut m’en rendre que
30 ! Et ce n’est qu’après l’avoir menacé d’appeler la Police (mot heureusement compréhensible dans toutes les langues), qu’il me rendit, en bougonnant, les 20 shekels
récalcitrants.
Cette aventure a gâché l’excellente première impression de l’arrivée à Haïfa, mais on dit bien « nobody is perfect!
LES HOTELIERS DE TEL AVIV SE «REBIFFENT»
Lors de la préparation de mon voyage, j’avais eu un mal fou à obtenir un logement à Tel Aviv. Une agence m’avait réservé trois jours dans un hôtel bien situé à Jérusalem, plus deux jours au
DEBORAH, à Tel Aviv, mais ce dernier fut annulé le lendemain, avec l’excuse qu’ « à l’occasion du 60ème anniversaire de la création
d’Israël, les hôteliers de Tel Aviv avaient décidé, à l’unanimité, de n’accepter pas des réservations de moins de 7, voire 10 jours ».
A l’Office du Tourisme d’Israël à Paris, le directeur m’avait dit qu’Israël est un pays démocratique où
tout le monde est libre de faire ce qu’il veut. Une semaine plus tard, il m’avouait qu’il était submergé de coups de fil désespérés, depuis ma visite ! Il a beaucoup ri lorsque je lui ai
raconté une histoire juive vieille d’environ 50 ans, inspirée par le film antiraciste d’Elia Kazan, GENTLEMEN’S
AGREEMENT :
Un cadre bien sous tous rapports entre dans un hôtel 5 étoiles, et dit avoir réservé une chambre. L’hôtelier s’empresse de lui proposer une suite,
mais pâlit lorsqu’il lit sa signature : GOLDBERG. Et d’inventer toutes sortes de subterfuges, avant de dire clairement à ce client inopportun que son établissement n’acceptait pas les
Israélites.
- Mais qui vous dit que j’en suis un ? Je suis catholique, moi !
- Puis-je alors vous poser quelques questions ?
- Allez-y.
- Dites-moi où est né le Christ.
- A Bethlehem !
- Et où exactement, à Bethlehem ?
- Dans une étable.
- Et pourquoi dans une étable ?
- Parce que les hôteliers de Bethlehem étaient tous des sales antisémites, qui
refusaient les Juifs !
Le directeur de l’Office n’a pas voulu me dire s’il classait le hôteliers de Tel-Aviv parmi les antisémites, mais mon expérience personnelle ne manque pas de piquant :
Finalement, j’ai réussi à trouver une sorte d’hôtel pour hommes d’affaires, situé rue Ben Yehouda, mais qui n’avait à m’offrir qu’une
suite, plutôt exiguë pour son prix. Et ils insistèrent pour que je m’y présente avant midi, car c’était un Vendredi et le personnel partait pour le Shabbat. J’en profitai pour y inviter la
famille qui m’avait accueilli à Netanya, et ils proposèrent d’y offrir un repas du Vendredi soir, acheté chez un traiteur. Nous arrivâmes à l’heure, on nous monta avec les bagages et les « delicatessen » à la « suite », mais voulant aller à la plage
vers 14 heures, on constata qu’on ne nous avait pas remis de clé!
La réception était fermée, mais sur la porte il y avait pas moins de quatre numéros de téléphone, à appeler en cas d’urgence. Après les avoir tous composés sur mon portable, je réussis à obtenir
le directeur, et il me dit « qu’il allait s’en occuper ». Effectivement, la porte d’à côté s’ouvrit presque immédiatement, et l’employé qui
m’avait accueilli à l’arrivée me remit la clé, sans un mot d’excuse. Mais alors que je remerciais le directeur pour sa promptitude, je me fis répondre, sur un ton très sec : « Ne
m’appelez plus au téléphone, un jour de Shabbat ! » « Même s’il y avait le feu dans la maison ? » « Ne m’appelez
JAMAIS, un jour de Shabbat !
Mes soucis n’étaient pas finis ; en retrouvant mes hôtes de Netanya, ils m’apprirent que le réfrigérateur peinait sérieusement, et que notre repas du Shabbat semblait en danger de fondre ! Je redescendis chez le concierge, qui prit très mal la chose, et me dit d’un air très agressif que « les frigidaires israéliens n’étaient
pas conçus pour des températures aussi basses qu’en Europe, et que si nous n’étions pas contents, nous n’avions qu’à rester chez nous ! »
Finalement, le repas fut sauvé, mais il semble que malgré la Guerre du Kippour, d’octobre 1973, les Israéliens n’ont pas encore compris que Dieu a autre chose à faire qu’à surveiller en permanence les faits et gestes de son peuple élu. Seul Tevye, le laitier du VIOLON
SUR LE TOIT, lui a dit un jour: Tu es bien gentil, mon Dieu, mais de temps en temps, tu ne peux pas élire quelqu’un d’autre?
Et l’aventure israélienne se termina en apothéose, avec des danses sur la colline de Yafo à faire pâlir les danseurs de Bob Fosse!
Harry Carasso
Annexes : les Ponts de Calatrava (Jérusalem et Venise)Jérusalem (Photo: Marie Medina)
Venise
Conaissant le génie de Calatrava, pensent que ce pont ne s’imposait pas, et qu’il aurait mieux valu réserver son
coût (« seulement » 10 millions d’euro) à des réparations, dans une ville où «tout prend l’eau !»